L’année 2020 aura été celle de la déconnexion entre la réalité économique et les actifs financiers et immobiliers : alors que la France a connu sa pire récession depuis la seconde Guerre mondiale avec un décrochage digne des années 30, les marchés financiers et immobiliers ont remarquablement résisté voire poursuivi leur hausse pour certains d’entre eux.
Mise en place de plans d’urgence pour sauver l’économie
L’explication est simple : pour ne pas tomber en dépression, les pouvoirs publics ont très vite neutralisé les effets de la crise sur les ménages et les entreprises, en combinant prise en charge du chômage partiel pour les salariés, fonds de solidarité et prêt garanti par l’Etat pour les entreprises afin d’éviter une déferlante de cessations de paiement dans le pays.
Si la plupart des gouvernements du monde ont pu jouer le rôle de sauveteur de l’économie dans son ensemble, c’est bien parce que la BCE a procédé à une impression massive d’argent frais, directement à disposition des États pour mettre en place hier et aujourd’hui leurs plans d’urgence, demain leurs plans de relance.
Cette injection de liquidités inédite dans l’histoire, qui se compte en milliers de milliards d’euros en quelques trimestres, explique l’étonnante résistance de l’ensemble des marchés financiers et immobiliers en 2020, qui sans ce soutien public auraient évidemment massivement corrigé, dans un contexte où les taux d’intérêt se seraient envolés au regard de la défiance légitime des établissements bancaires à prêter à des agents privés dont la solvabilité aurait été mise à mal.
La question qui se pose désormais est celle de l’avenir proche et lointain. En effet, si l’on peut considérer que les prix des actifs ont été pilotés, en quelque sorte administrés en 2020, qu’en sera-t-il de l’année 2021 : la politique de création monétaire restera-t-elle aussi vigoureuse et les taux d’intérêt resteront-ils aussi faibles ? Nous estimons que sur ce plan peu de surprises devraient survenir. La BCE ne cesse de rassurer en annonçant un soutien indéfectible pour soutenir les Etats européens aussi longtemps qu’il le faudra… Cette assurance donne évidemment de la visibilité sur les niveaux des taux d’intérêt en 2021 voire en 2022, qui resteront au tapis et offriront des conditions de financement aux ménages et aux entreprises toujours extrêmement favorables. Cela pose les jalons pour des marchés financiers et immobiliers plutôt bien orientés en 2021.
Dans le détail, nous devrions toutefois observer d’importantes différences de trajectoire selon les segments immobiliers, résidentiel, commercial, de bureaux, industriel, d’hôtellerie ou encore de santé.
Marchés financiers et immobiliers en 2021
Le marché du résidentiel
Concernant le marché du résidentiel, la persistance de conditions de financement historiquement favorables devrait continuer à soutenir le pouvoir d’achat des ménages. Il conviendra toutefois d’observer avec attention les dynamiques démographiques à l’œuvre dans le « monde d’après ». En effet, la crise sanitaire semble avoir convaincu nombre de français de privilégier comme lieu de vie des zones moins concentrées que les grandes métropoles, ces dernières ayant été les grandes bénéficiaires en termes démographiques des 30 dernières années. Si ce phénomène se concrétisait par des départs en nombre des grandes métropoles au profit de villes de taille moyenne, il pourrait y avoir des changements dans les dynamiques de prix de l’immobilier résidentiel. Au final, si à l’échelle nationale les prix devraient se maintenir, il faudra observer avec attention si un match métropole / villes moyennes se joue véritablement une fois les stratégies vaccinales bien avancées et les perspectives de sortie de crise plus concrètes. Plus que jamais le critère géographique devrait ainsi l’emporter.
Le marché de l’immobilier de bureaux
Concernant l’immobilier de bureaux, les changements viendront probablement d’une demande accrue pour des surfaces plus petites, au détriment des grandes surfaces. En effet, la généralisation assurée d’une dose de télétravail dans l’ensemble des organisations permettra aux entreprises de regagner quelques points de marge en économisant une proportion non négligeable de mètres carrés.
Le marché de l’immobilier commercial
Concernant l’immobilier commercial, deux dynamiques opposées devraient être à l’œuvre. Si les moyennes et grandes surfaces semblent protéger (plus que les très grandes d’ailleurs), le commerce de « pied d’immeuble » devrait être une des victimes durables d’un effet collatéral de la crise sanitaire : le télétravail. En effet, les résultats de ces commerces sont directement liés aux flux de personnes circulant dans les quartiers dans lesquels ils sont installés. Or en considérant que le télétravail se généralisera à hauteur d’1.5 jours par semaine une fois la crise sanitaire passée, cela entrainera une baisse du flux de personnes d’environ 30% dans les quartiers dits professionnels… il est évident qu’aucun commerce ne peut survivre à une chute de cette ampleur de son chiffre d’affaires potentiel. Il faut donc s’attendre à un ajustement majuscule des baux commerciaux dans l’immobilier commercial de « pied d’immeuble » dans les années à venir. En contrepartie, la présence des « télétravailleurs » plus proches de leurs lieux d’habitation pourrait porter le renouveau de certains commerces et soutenir les moyennes et grandes surfaces dans des zones jusqu’à maintenant « dortoirs ».
Le marché de l’immobilier industriel
L’immobilier industriel devrait quant à lui bien se porter : hormis lors de l’arrivée de l’épidémie et des premiers confinements très restrictifs, le secteur manufacturier a ainsi très bien résisté partout sur la planète. Malgré les périodes récentes de nouvelles restrictions, le secteur manufacturier reste d’ailleurs en expansion, au contraire du secteur des services. Dans un contexte où les relocalisations devraient devenir progressivement une thématique porteuse, ce segment de marchés devrait plutôt bien se comporter à moyen et long termes.
Le marché de l’immobilier d’hôtellerie
L’immobilier d’hôtellerie devrait connaître quant à lui des dynamiques très différentes selon la zone géographique : si ce secteur devrait bien se comporter dans les métropoles régionales et dans les zones touristiques (mer et montagne), l’hôtellerie parisienne pourrait durablement souffrir en raison du changement de comportement des clientèles d’affaire, qui semblent avoir durablement pris le pli des réunions en « visio » et limiteront leurs déplacements à l’avenir en comparaison des années 2010. Il se pourrait ainsi que le « blockbuster » que constituait l’hôtellerie parisienne avant le Covid ait perdu durablement de son lustre…
Le marché de l’immobilier de santé
Enfin, s’il y a un segment de marchés qui semble porté par une lame de fond structurelle, c’est bien le secteur de la santé. En effet, que ce soit à travers le vieillissement accéléré de nos populations ou encore la prise de conscience de l’importance de disposer d’un système et d’infrastructures de santé modernes, toutes les planètes semblent alignées pour soutenir durablement ce secteur.
Un article rédigé par Pierre Sabatier
Économiste prospectivite, conférencier,
Président de Prime View, Vice-président de l’AUREP.